La 24-7 : c’est le nom, d’après le diamètre en pieds et en pouces de son plus gros séquoia – sept mètres et demi de tour de taille pour cent douze mètres de hauteur –, de la parcelle de forêt plurimillénaire qu’à cinquante-trois ans, Rich, bûcheron comme avant lui son père et son grand-père, vient d’acquérir, en s’endettant jusqu’au cou, sur l’audacieux pari qu’une route en permettrait bientôt l’exploitation.
En cette fin des années soixante-dix, ils sont une petite communauté à dépendre exclusivement de l’exploitation des géants californiens qui subsistent
encore. Dur et dangereux, le métier abat aussi régulièrement son quota d’hommes, et Rich, dont le corps marqué de cicatrices raconte la vie aussi bien que la dendrochronologie celle des arbres, s’est décidé au grand saut qui doit le rendre indépendant, assurant ses vieux jours et l’avenir de son fils Chub, bientôt en âge d’être scolarisé.
Pour la protéger, il n’a pas encore mis son épouse Colleen dans la confidence. De vingt ans sa cadette, celle qui fait office de sage-femme dans leur petite ville se désespère de ses fausses couches en série et se remet à peine de la perte d’une petite-fille à mi-grossesse. Lorsque Daniel, son amour de jeunesse, revient dans la région et, au grand dam de la population déjà exaspérée, entre manifestations hippies et création de parcs nationaux, par l’obstruction croissante à l’exploitation forestière dont tous dépendent ici, se met à jouer les lanceurs d’alerte contre l’épandage massif de défoliants facilitant le débroussaillage, elle est la première à douter face à la multiplication des malformations de nouveaux-nés dans la région.
Bientôt déchiré entre leur dramatique dépendance au découpage des derniers séquoias géants en un maximum de pieds-planches et leur prise de conscience, à la fois des impacts écologiques de cette activité – comme les glissements de terrain déboisé et la disparition des saumons incapables de frayer dans des rivières envasées – et des risques sanitaires associés, le couple se retrouve au coeur des affrontements de plus en plus violents qui opposent les défenseurs de la nature et ceux qui ont fait de son exploitation leur indispensable gagne-pain.
Jamais manichéen, le récit entrelace les points de vue dans une vaste fresque familiale et écologique, vécue à hauteur d’hommes que l’on ne quittera qu’à regret au terme de ses plus de cinq cents passionnantes pages. Dans l’imposante et splendide futaie où de minuscules humains mènent un combat herculéen et périlleux nécessitant un incomparable savoir-faire pour à peine gagner leur vie dans la boue, la sciure et la sueur, le lecteur se retrouve lui aussi écartelé : d’un côté, le partage de leurs peines et de leurs vicissitudes, de l’autre, l’effroi bien contemporain suscité par ce pillage éphémère d’un trésor naturel irremplaçable et par l’ignorante inconséquence qui les conduit à s’empoisonner littéralement.
Et, tandis que, d’un parfait réalisme, les rebondissements de leurs mésaventures s’enchaînent en une tension incessante, et que, profondément justes dans leurs ambivalences et dans leurs maladresses, les personnages se révèlent de plus en plus attachants, c’est très symboliquement à nos contradictions actuelles entre notre conscience de détruire la planète et notre incapacité à changer notre mode de vie que nous renvoie cette histoire représentative, survenue il y a un demi-siècle en Californie du Sud, région natale de l’auteur.
Ce premier roman impressionnant de justesse et de maîtrise a l’art et la manière d’immerger le lecteur dans les senteurs de sous-bois mêlées des relents âcres des herbicides pulvérisés par les exploitants forestiers, pour un chant d’agonie de tout un monde dont on peut encore espérer qu’il ne préfigure pas celui de la planète entière. Coup de coeur.
Vaste fresque familiale et écologique
La 24-7 : c’est le nom, d’après le diamètre en pieds et en pouces de son plus gros séquoia – sept mètres et demi de tour de taille pour cent douze mètres de hauteur –, de la parcelle de forêt plurimillénaire qu’à cinquante-trois ans, Rich, bûcheron comme avant lui son père et son grand-père, vient d’acquérir, en s’endettant jusqu’au cou, sur l’audacieux pari qu’une route en permettrait bientôt l’exploitation.
En cette fin des années soixante-dix, ils sont une petite communauté à dépendre exclusivement de l’exploitation des géants californiens qui subsistent encore. Dur et dangereux, le métier abat aussi régulièrement son quota d’hommes, et Rich, dont le corps marqué de cicatrices raconte la vie aussi bien que la dendrochronologie celle des arbres, s’est décidé au grand saut qui doit le rendre indépendant, assurant ses vieux jours et l’avenir de son fils Chub, bientôt en âge d’être scolarisé.
Pour la protéger, il n’a pas encore mis son épouse Colleen dans la confidence. De vingt ans sa cadette, celle qui fait office de sage-femme dans leur petite ville se désespère de ses fausses couches en série et se remet à peine de la perte d’une petite-fille à mi-grossesse. Lorsque Daniel, son amour de jeunesse, revient dans la région et, au grand dam de la population déjà exaspérée, entre manifestations hippies et création de parcs nationaux, par l’obstruction croissante à l’exploitation forestière dont tous dépendent ici, se met à jouer les lanceurs d’alerte contre l’épandage massif de défoliants facilitant le débroussaillage, elle est la première à douter face à la multiplication des malformations de nouveaux-nés dans la région.
Bientôt déchiré entre leur dramatique dépendance au découpage des derniers séquoias géants en un maximum de pieds-planches et leur prise de conscience, à la fois des impacts écologiques de cette activité – comme les glissements de terrain déboisé et la disparition des saumons incapables de frayer dans des rivières envasées – et des risques sanitaires associés, le couple se retrouve au coeur des affrontements de plus en plus violents qui opposent les défenseurs de la nature et ceux qui ont fait de son exploitation leur indispensable gagne-pain.
Jamais manichéen, le récit entrelace les points de vue dans une vaste fresque familiale et écologique, vécue à hauteur d’hommes que l’on ne quittera qu’à regret au terme de ses plus de cinq cents passionnantes pages. Dans l’imposante et splendide futaie où de minuscules humains mènent un combat herculéen et périlleux nécessitant un incomparable savoir-faire pour à peine gagner leur vie dans la boue, la sciure et la sueur, le lecteur se retrouve lui aussi écartelé : d’un côté, le partage de leurs peines et de leurs vicissitudes, de l’autre, l’effroi bien contemporain suscité par ce pillage éphémère d’un trésor naturel irremplaçable et par l’ignorante inconséquence qui les conduit à s’empoisonner littéralement.
Et, tandis que, d’un parfait réalisme, les rebondissements de leurs mésaventures s’enchaînent en une tension incessante, et que, profondément justes dans leurs ambivalences et dans leurs maladresses, les personnages se révèlent de plus en plus attachants, c’est très symboliquement à nos contradictions actuelles entre notre conscience de détruire la planète et notre incapacité à changer notre mode de vie que nous renvoie cette histoire représentative, survenue il y a un demi-siècle en Californie du Sud, région natale de l’auteur.
Ce premier roman impressionnant de justesse et de maîtrise a l’art et la manière d’immerger le lecteur dans les senteurs de sous-bois mêlées des relents âcres des herbicides pulvérisés par les exploitants forestiers, pour un chant d’agonie de tout un monde dont on peut encore espérer qu’il ne préfigure pas celui de la planète entière. Coup de coeur.