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Les collines d'eucalyptus. Derrière les barreaux de sa prison, Thanh contemple les derniers lambeaux de brume sur la paroi rocheuse qui lui tient désormais lieu d'horizon. Il a été condamné aux travaux forcés. Parce que ce jeune homme sans histoire, excellent élève et fils modèle, a découvert très tôt son homosexualité et qu'il lui a paru insurmontable de l'avouer à ses parents, son destin a basculé.
Comment il est tombé sous la coupe d'un mauvais garçon avec qui il a fui sa ville natale et comment il s'est retrouvé piégé, c'est le fatal et poignant engrenage que Duong Thu Huong met en scène. Thanh est désespérément seul pour cette descente dans les cercles de son enfer intime. Il ne peut confier à personne les affres de sa relation avec son compagnon qui, en parfait manipulateur, joue de l'attirance physique qu'il exerce pour vivre à ses crochets.
Honteux de sa faiblesse et de sa lâcheté, Thanh se garde bien de demander conseil à Tiên Lai, l'homme mûr en qui il a pourtant le sentiment d'avoir rencontré un alter ego. A Dalat, où ils végètent comme ramasseurs de balles sur des cours de tennis, Thanh n'a pas la force d'éconduire son mauvais génie. Il s'enfuit en vain à Saigon, croyant trouver refuge dans l'anonymat de la métropole. Si l'issue de cette sombre liaison est bien fatale, Duong Thu Huong écrit pourtant un roman de la rédemption.
Son jeune héros, dont les tribulations lui donnent la matière d'une vertigineuse plongée dans le Vietnam de la fin des années 80, ne finira pas au bagne. Les Collines d'eucalyptus est une somptueuse variation sur le thème du retour de l'enfant prodigue, un roman éclairé par la compassion et l'intelligence humaine qu'un écrivain au sommet de son talent témoigne à ses personnages.
La crue de la vie
Lorsqu’elle vivait au Vietnam, Duong Thu Huong avait accepté d’enquêter sur la disparition du fils d’un couple de sa famille. Que deviennent ces enfants qui fuient un foyer chaleureux? Dans Sanctuaire du cœur, elle inventait un destin de ce jeune fugueur. Le jeune homme ayant appris la faute de son père avait fui l’amour d’une famille pour se retrouver dans l’errance puis devenir un jeune gigolo.
Ici, autre version, on découvre Thanh en forçat, condamné à vingt cinq ans de prison. En partant toujours d’un récit de la vie en prison, l’auteur va nous conter comment Thanh en est arrivé là.
C’est le roman fleuve du fils prodigue et aimé d’un couple d’enseignants, qui ne peut décevoir cette mère-biche ni ce père contraint d’assurer la lignée familiale. Lorsqu’il découvre son homosexualité, il s’enfuit avec Phu Vuong, jeune voyou brimé par un père poète mais violent. Liaison fatale dont il peinera à se défaire malgré son intelligence et sa volonté.
Duong Thu Huong va alors enchaîner les récits de vie de personnages ayant croisé le chemin de Thanh. Autant de romans successifs qui évoque la jeunesse de Thanh, les mariages d’une jeune femme condamnée à mort, la vie de Tiên Lai, l’amant de Dalat. Chaque fois, elle montre la complexité des relations amoureuses où l’un profite de la faiblesse de l’autre.
" toutes les relations humaines reposent sur l’utilisation mutuelle."
Certains pourront y trouver des longueurs mais c’est sans compter le talent de conteuse de Duong Thu Huong. Elle émaille son récit de l’ambiance du Vietnam. Et l’on y vit presque au quotidien les mœurs, les coutumes. On comprend les contraintes politiques, le poids des valeurs ancestrales. On traîne sur les collines vertes, dans les champs d’ananas ou de pamplemoussiers. Le goût du phô ou du thé au lait sucré s’oppose aux mauvais brouet des soupes de prison.
Le personnage principal qui nous fait part bien souvent (peut-être trop souvent) de ses pensées profondes se révèle être un garçon sensible et intelligent, malheureusement il est entraîné dans les méandres d’une vie tumultueuse.
" Chaque vie comporte plusieurs étapes, telle une rivière qui a un amont et un aval, où alternent des cours calmes et des cours torrentiels."
Malgré le nombre des histoires, les 790 pages, l’auteur est parvenu à maintenir mon intérêt grâce à son talent narratif, son pouvoir d’évocation d’un pays riche d’histoire et de coutumes, son style très imagé, son langage naturel et évocateur.
Ce roman est peut-être moins profond que le magnifique Terre d’oubli mais c’est une histoire touchante et passionnante.