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Inattendu
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Eblouissant
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Futuriste
Pour une fois que le résumé de la quatrième de couverture est clair et juste, je vais être paresseux et ne pas réécrire le « pitch » :
« Seuls circulent les livres officiels. Le « Grand », à la tête du Service National, a mis au point les « Manifestations A Haut Risque », lectures publiques qui ont lieu dans les stades afin de rassembler un maximum de consommateurs. Peuvent alors s’y déchaîner les passions des citoyens dociles. Des Agents de sécurité – impérativement analphabètes – sont engagés pour veiller au déroulement du spectacle et maîtriser les débordements
qui troublent l’ordre public. 1075, compétiteur exceptionnel, issu de nulle part et incapable de déchiffrer la moindre lettre, est parfait dans ce rôle. Il devient le meilleur numéro ; riche, craint et respecté. Jusqu’au jour où un molosse – monstre loué pour pallier les défaillances des Agents – le mord. »
Les livres n’ont pas de titre. Ils se contentent d’appartenir à des catégories : Livre Frissons, Livre Fous Rires, Livrez Haine, Livre Chagrin... Ils deviennent alors le moyen de contrôler les sentiments de la population et donc la population elle-même. Ils opèrent comme un médicament addictif qui aurait remplacé toute autre forme d’addiction ou de pathologie mentale. Lucie Nox a utilisé les mots comme exutoires à tous les fantasmes, comme méga-thérapie, comme super-cure… Un rêve qui vire au cauchemar par le dévoiement de ce système opéré par le « Grand » afin d’étendre son emprise sur l’ensemble de la population.
Les livres n’ont donc pas de titre et les personnages n’ont pas de nom non plus. En dehors du nom de Lucie Nox, on ne connait ni celui du héros, ni celui de sa mère, les personnes sont identifiées soit par leur métier (Agents, Liseurs, Ecriveurs, Tuteurs,…) soit par… rien ! Les Agents surveillent, les Ecriveurs écrivent, selon leurs spécialités, les Tuteurs forment, Les Gardes supervisent, les Liseurs lisent et les gens écoutent de manière religieuse mais de façon quasi frénétique. La conjonction de cet endoctrinement et de cet anonymat crée admirablement un climat de tension oppressant et permanent.
Alors oui il y a du « Fahrenheit 451 » dans ce récit, il y a peut-être aussi du « 1984 » (mais j’avoue ne pas avoir pu le lire avant…). Il y a aussi et surtout dans l’idée que les mots ou les livres ont un pouvoir physique pour donner corps aux émotions du José Carlos Somoza. Dans « L’appât », des agents de polices utilisent les textes de Shakespeare pour créer des espèces de chorégraphies appelées masques qui jouent sur les différentes nuances des désirs éprouvés par les criminels pour les identifier et les attirer en provoquant une overdose du seul désir auquel ils ne peuvent résister. Il en va ainsi un peu de ces livres qui ne sont plus catalogués que par rapport aux émotions auxquelles ils donnent une contenance et une vie.
Cécile est aussi férue de poésie, en écrivant à ses heures (perdues ?), et il m’a plu de croire qu’il y avait une correspondance entre le nom de Lucie Nox et le poème « Oceano nox » de Victor Hugo. Cette absence angoissante de noms dans « Le rire du grand blessé » renvoie inexorablement à ces vers « Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière / Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre / Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond ». Plus loin encore, le thème de la disparition, des personnes et même de leur souvenir, présent dans le poème n’est pas étranger au livre de Cécile. Victor Hugo s’adresse aux marins disparus sans en connaître aucun en particulier : cet effacement de la personnalité propre et individuelle, ce basculement dans l’oubli sont également la raison du fonctionnement du système dictatorial mis en place dans l’univers de Cécile. Et seul le recours à la personnification des individus par un nom plutôt qu’un numéro pourra les en faire sortir, en tout cas leur faire prendre conscience de la réalité de leurs situations.
Il se trouve que l’auteure m’a, entre temps, détrompé quant à ce lien fantasmé…
Enfin, on retrouve par-ci par-là des thèmes chers à l’auteure qui étaient déjà présents dans les précédents ouvrages : un rapport aux lieux et aux origines. Le thème et la nature du « Rire du grand blessé » en restreint la place par rapport aux deux précédents livres mais ils sont bel et bien là, en filigrane.
Le style de Cécile est comme d’habitude percutant et puissant. Chaque phrase est pratiquement une idée, une donnée supplémentaire apportée au sujet. On pourra simplement regretter, même si ces 130 pages forment un tout homogène, qu’il n’y en ait pas un peu plus.
distopie
Un roman distopique intéressant, mais qui ne me restera pas longtemps en mémoire, car je n'ai pas eut le temps de m'attacher aux personnages.
Ceux-ci m'ont paru clinique, tels des archétypes de leur catégorie. Et puis le personnage principal ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez.
Le propos de départ m'a paru également difficile à croire : faire de la lecture l'opium du peuple, remplaçant le shoot pour tous les drogués. Les gens devenant des drogués d'histoires.
Je suis donc passée à côté de ce roman.
L'image que je retiendrai :
Celle de l'appartement de fonction de 1075, avec cuisinier et femme de ménage. Mais 1075 y est désespérément seul.