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Entre 1938 et 1941, à Berlin et à Leningrad, deux jeunes gens bien sous tous rapports collaborent aux politiques de destruction d'Hitler d'une part et de Staline d'autre part. Alexandra et Thomas ne sont pas plus des héros que des monstres, ni Hitler ni Staline n'ont réveillé leurs pires instincts, ce sont des gens ordinaires, mus par des motivations complexes mais sans perversité. A Berlin, Thomas est hanté par le spectre de la crise qui a réduit son père à faire l'" homme sandwich ".
Lui ne veut pas connaître ce sort, il veut devenir un homme important : il se fait embaucher dans une entreprise publicitaire américaine qui s'implante en Allemagne et, à force d'acharnement, gravit les échelons. Pour cela, il élabore le " modèle de l'homme allemand " qui devrait aider l'entreprise américaine à mieux vendre ses produits. Ce modèle rencontre un grand succès auprès des nazis, qui réclament un " modèle de l'homme polonais " afin d'élaborer leur stratégie de domination et d'extermination.
Et si les travaux de Thomas affectent l'existence de millions de personnes, si à cause d'eux les nazis installent un système de mort ultraperformant partout où ils passent, est-il pour autant responsable ? A Leningrad, Alexandra vit dans un milieu d'intellectuels, de poètes et d'écrivains. Elle aussi voudrait être poète, mais elle est médiocre, submergée par des émotions qu'elle ne parvient pas à contrôler : elle méprise l'univers bourgeois des amis de ses parents, leurs lâchetés face à la terreur stalinienne ; elle est pleine de colère devant la trahison de son père, amoureux d'une autre, et la complaisance de sa mère.
Elle n'a qu'un véritable amour, son jeune frère, Kolia. Alors quand la police politique arrête la maîtresse de son père, elle réagit : elle se fait embaucher par le NKVD, dénonce ses parents et toutes leurs relations, et se spécialise dans l'extorsion d'aveux - avec l'espoir que Kolia lui sera confié au lieu d'être envoyé dans un orphelinat cauchemardesque. Et si ses parents et leurs amis sont déportés au Goulag, peut-on l'en tenir pour responsable ? Ne sont-ils pas, eux, coupables en premier lieu d'hypocrisie et de renoncement ? Et, en vérité, ne leur a-t-elle pas évité la peine de mort ? En jouant le jeu du régime stalinien, Sacha se persuade qu'elle va sauver son frère et ramener la vie dans son foyer détruit.
Mais c'est vers une mort intime qu'elle dérive : elle découvre qu'elle n'est qu'une machine à survivre, construite autour d'un désespérant vide intérieur. Thomas n'adhère pas à l'idéologie nazie, non ; simplement il ne la voit pas, ne l'entend pas. Il est tendu vers un seul but : réussir. Parce que réussir, c'est exister. Il s'indigne fort peu du sort des Juifs, mais lentement, tout au fond de lui, il se laisse effacer du monde des vivants, ne partage plus ni leurs émotions ni leur attentes, devient une pure machine à rédiger des rapports.
Peur, ambition, jalousie, solitude et secret désir de mourir forment un cocktail ravageur qui pousse Thomas et Sacha vers la vilenie, puis la chute. Ils sont écartés des cercles du pouvoir, relégués à une tâche subalterne qui va les mener à se rencontrer à Brest-Litovsk, en 1941, peu avant la rupture du pacte germano-soviétique. Alors qu'ils sont la risée de leur entourage, ils continuent de se battre jusqu'à l'absurde pour un projet qui ne verra jamais le jour.
Ils y jettent leurs dernières forces, comme dans une sorte de lent suicide, mais c'est aussi leur seule vraie bataille : celle qui les révélera à eux-mêmes et les confrontera à leurs choix.