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Depuis une vingtaine d'années, on commence à mieux connaître en France la vie et l'oeuvre de Victor Klemperer, ce philologue juif allemand qui a décrypté la langue du Troisième Reich et lui a miraculeusement survécu. Ses carnets, dans lesquels il a consigné pendant plus d'une décennie les distorsions que les nazis faisaient subir à la langue allemande, sont devenus un document incontournable pour saisir ce qu'est le totalitarisme.
L'expérience singulière et tragique de cet homme qui a trouvé son salut dans l'étude obsessionnelle de l'idiome nazi est ici le point de départ d'une réflexion sur la situation actuelle du langage. Pour peu qu'on l'écoute vraiment, la langue dit toujours la vérité d'une époque. A travers ses transformations, dans la confusion des sentiments et l'ambiguïté? des mots, s'imposent certaines idées et représentations qu'on a longtemps qualifiées d'idéologie avant que ce terme ne tombe en disgrâce.
Cet ouvrage collectif entreprend de montrer les modalités suivant lesquelles l'idéologie se déploie aujourd'hui, en croisant l'approche linguistique héritée de Klemperer, la tradition critique en sciences sociales qui a su historiquement la conceptualiser, et une problématisation des systèmes techniques qui permet d'analyser l'automatisation du langage. Faire de Klemperer notre contemporain, c'est nous confronter au discours publicitaire et aux algorithmes du web mondialisé en nous armant du principe d'exactitude qui guidait l'écriture de son journal intime.
Observer froidement ce que la langue subit, pour avoir une chance de lui rendre sa richesse, sa polysémie et sa force poétique.