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Emma Fulconis : on ne voit qu'elle à L'Escarène, dans cet arrière-pays niçois où elle est née. Prompte, virevoltante, rebelle à tout, sauf au vent, elle a toujours galopé dans les collines. Enfant déjà, on la surnommait " l'athlète ". Se moquant bien des compétitions, Emma " ne court pas relativement, mais absolument ". Mais un jour, sa vie bascule : son ami Stéphane Goiran, avec qui parfois elle écoute un peu de musique lors d'une halte, l'invite chez lui.
Là, à peine la porte franchie, un chien énorme se jette sur elle, et lui lacère la jambe, ou plus exactement le péroné, également appelé " l'agrafe ". S'ensuivent des mois d'hôpital et de rééducation, à l'issue desquels il est clair qu'Emma ne détalera plus jamais à toute allure. Mais l'accident ne l'arrête pas dans son élan. Hantée par la phrase du père Goiran expliquant pourquoi il n'a pas retenu son molosse - " Mon chien n'aime pas les Arabes -, elle tente de comprendre ce qu'elle sait déjà, mais dont on ne parle pas.
Tenace, elle va surtout trouver en elle la ressource d'un nouveau mouvement, un tremblement d'abord, une oscillation, presque une danse immobile. Il fallait le talent de Maryline Desbiolles, convoquant la parole des villageois comme un choeur antique, pour nous mener, au rythme même de la course empêchée d'Emma, sur le chemin d'une aveuglante réalité : celle d'un pays où les blessures de la guerre d'Algérie sont tapies dans les mémoires.
Pour autant, même boiteuse, exhibant crânement sa cicatrice, jamais Emma Fulconis ne cessera d'aller de l'avant, exerçant sur nous, de son invraisemblable grâce, un charme puissant.
L'agrafe.
Elle court, elle court Emma, jusqu'à cette morsure pas si anodine.
A la croisée de mémoires, intimes et collectives, L’agrafe est un récit magnifique, ciselé d’une langue sans pareille où les mots défilent et galopent comme des pulsions qui se gonflent, vibrent sur les chemins escarpés d'une histoire et des paysages arides de l’arrière pays niçois.
Il s'y fait entendre les éclats d'une métaphore charnelle qui convoque les élans brisés d’une jeune fille et les plaies qui demeurent comme des angles morts dans l’histoire de la guerre d’Algérie, les Harkis et cet impétueux besoin de cicatriser pour dire et vivre le monde autrement.
Ces petites histoires silenciées qui n'en sont pas, trouvent toujours chez Maryline Desbiolles un petit bout de place dans la grande.
Et c'est tout un art puissant de musicalité, comme d'échos.