Enseignant-chercheur à l’université Lyon 2, spécialiste en littératures anglophones, Samuel Baudry est l’auteur de nombreuses publications. Ce dernier ouvrage paraît dans les collections Synthèses et Lignes de Partage des Presses Universitaires de Lyon, destinées à rendre accessibles au plus grand nombre, et en particulier à un public étudiant, des synthèses de recherches en sciences humaines et sociales. En l’occurrence, il s’agit ici de retracer le panorama historique des différentes formes prises par la critique littéraire occidentale depuis l’Antiquité jusqu’à nos
jours : une occasion très sérieuse de réaliser le long parcours, qui, depuis les « kritikoi » qui choisissaient les textes à conserver dans la bibliothèque d’Alexandrie, a mené au foisonnement contemporain des commentaires littéraires sur les réseaux sociaux.
Cette longue épopée a connu des phases majeures, structurant les grandes parties de cet ouvrage :
- de l’Antiquité où tout commence : il faut sélectionner les meilleurs textes et les meilleures versions pour l’éducation de l’homme cultivé ; apprendre à les lire, à les comprendre et à les commenter pour en exprimer toute la sagesse – autant de disciplines : grammaire, rhétorique, commentaire, qui auront une importance majeure dans la manière d’aborder les écrits jusqu’au Moyen-Age,
- au dialogue entre les Anciens et les Modernes à partir de la Renaissance, alors que, grâce à l’invention de l’imprimerie, la diffusion accrue des textes favorise réflexion et discussion – on commence à théoriser la littérature et son rôle, en insistant, à la manière d’Aristote avec sa Poétique, sur la catharsis du lecteur, sur son éducation morale au travers de l’imitation écrite des émotions ; face à la littérature savante, une nouvelle littérature de divertissement argumente sur ses mérites à la faveur d’une profusion de prologues et de préfaces ; des académies et des salons se mettent à proliférer dès le XVIIe siècle, où l’on converse, échange, débat avec les auteurs, où la bonne société définit le bon goût, précise les rôles éducatifs, moraux et linguistiques de la littérature, distribue des prix et joue au mécénat,
- puis à l’âge des critiques, au XVIIIe siècle, lorsque la démocratisation de la lecture, désormais accessible aux classes moyennes urbaines et aux femmes, suscite l’inquiétude quant aux risques d’une littérature incontrôlée, subversive et sentimentale – c’est l’époque des essais, des guides de lecture, des revues périodiques et des florilèges qui s’érigent en outils pédagogiques pour le progrès personnel et social ; on y enseigne à juger avec goût, et Lumières obligent, à se forger une opinion débarrassée des préjugés et des dogmes ; pour les philosophes, l’étude de la littérature devient un point d’entrée pour l’étude de l’homme et l’esthétique une nouvelle discipline, on s’intéresse aux mécanismes de la créativité et aux ressorts de l’esprit,en un mot au génie,
- il ne manque plus que l’émergence du « champ autonome de la littérature » au XIXe siècle, avec l’opposition entre le Romantisme – qui fait de la poésie une activité mystique, fondamentale pour exprimer symboliquement un monde autrement indicible, et de la lecture une expérience visionnaire nécessitant un travail créatif d’interprétation critique – et une approche plus scientifique – le critique est un observateur externe, un historien, un professeur, un expert qui dissèque, catégorise, théorise et modélise : une activité pratique qui s’enseigne désormais à l’université et alimente des travaux de recherche,
- avant de rejoindre l’époque contemporaine, parfois qualifiée de monde de l’après-littérature : désacralisée, la littérature s’y revisite au gré de nouveaux canons volontiers wokistes, les livres numérisés s’offrent aux nouvelles potentialités de l’intelligence artificielle, les consommateurs bénévoles prennent le relais des journalistes rémunérés pour proposer un mode de prescription horizontale faisant narcissiquement la part belle à l’expérience personnelle et nivelant la critique au niveau de pensée de la majorité statistique. L’on évalue désormais les livres comme n’importe quel bien de consommation, les avis de lecteurs sont des baromètres commerciaux au même titre que les enquêtes de satisfaction menées maintenant après quasiment tout acte d’achat.
Avec ses cinq parties clairement structurées en chapitres comportant chacun une description du contexte, des dispositifs et des objets critiques propres à chaque époque, enfin une liste des sources, ce livre est un ouvrage d’esprit scientifique, synthétisant des travaux de recherche exhaustifs et pointus, pour une vulgarisation qui ne manquera pas d’intéresser, entre autres, quiconque se pique d’aimer les livres et, qui plus est, de partager son avis à leur propos. Cette intéressante mise en perspective ouvre par ailleurs de nombreuses pistes de réflexion quant à la place de la littérature dans la société occidentale contemporaine, quand marketing, enjeux économiques et intelligence artificielle n’ont pas fini de révolutionner notre approche des livres.
Histoire de la critique littéraire
Enseignant-chercheur à l’université Lyon 2, spécialiste en littératures anglophones, Samuel Baudry est l’auteur de nombreuses publications. Ce dernier ouvrage paraît dans les collections Synthèses et Lignes de Partage des Presses Universitaires de Lyon, destinées à rendre accessibles au plus grand nombre, et en particulier à un public étudiant, des synthèses de recherches en sciences humaines et sociales. En l’occurrence, il s’agit ici de retracer le panorama historique des différentes formes prises par la critique littéraire occidentale depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours : une occasion très sérieuse de réaliser le long parcours, qui, depuis les « kritikoi » qui choisissaient les textes à conserver dans la bibliothèque d’Alexandrie, a mené au foisonnement contemporain des commentaires littéraires sur les réseaux sociaux.
Cette longue épopée a connu des phases majeures, structurant les grandes parties de cet ouvrage :
- de l’Antiquité où tout commence : il faut sélectionner les meilleurs textes et les meilleures versions pour l’éducation de l’homme cultivé ; apprendre à les lire, à les comprendre et à les commenter pour en exprimer toute la sagesse – autant de disciplines : grammaire, rhétorique, commentaire, qui auront une importance majeure dans la manière d’aborder les écrits jusqu’au Moyen-Age,
- au dialogue entre les Anciens et les Modernes à partir de la Renaissance, alors que, grâce à l’invention de l’imprimerie, la diffusion accrue des textes favorise réflexion et discussion – on commence à théoriser la littérature et son rôle, en insistant, à la manière d’Aristote avec sa Poétique, sur la catharsis du lecteur, sur son éducation morale au travers de l’imitation écrite des émotions ; face à la littérature savante, une nouvelle littérature de divertissement argumente sur ses mérites à la faveur d’une profusion de prologues et de préfaces ; des académies et des salons se mettent à proliférer dès le XVIIe siècle, où l’on converse, échange, débat avec les auteurs, où la bonne société définit le bon goût, précise les rôles éducatifs, moraux et linguistiques de la littérature, distribue des prix et joue au mécénat,
- puis à l’âge des critiques, au XVIIIe siècle, lorsque la démocratisation de la lecture, désormais accessible aux classes moyennes urbaines et aux femmes, suscite l’inquiétude quant aux risques d’une littérature incontrôlée, subversive et sentimentale – c’est l’époque des essais, des guides de lecture, des revues périodiques et des florilèges qui s’érigent en outils pédagogiques pour le progrès personnel et social ; on y enseigne à juger avec goût, et Lumières obligent, à se forger une opinion débarrassée des préjugés et des dogmes ; pour les philosophes, l’étude de la littérature devient un point d’entrée pour l’étude de l’homme et l’esthétique une nouvelle discipline, on s’intéresse aux mécanismes de la créativité et aux ressorts de l’esprit,en un mot au génie,
- il ne manque plus que l’émergence du « champ autonome de la littérature » au XIXe siècle, avec l’opposition entre le Romantisme – qui fait de la poésie une activité mystique, fondamentale pour exprimer symboliquement un monde autrement indicible, et de la lecture une expérience visionnaire nécessitant un travail créatif d’interprétation critique – et une approche plus scientifique – le critique est un observateur externe, un historien, un professeur, un expert qui dissèque, catégorise, théorise et modélise : une activité pratique qui s’enseigne désormais à l’université et alimente des travaux de recherche,
- avant de rejoindre l’époque contemporaine, parfois qualifiée de monde de l’après-littérature : désacralisée, la littérature s’y revisite au gré de nouveaux canons volontiers wokistes, les livres numérisés s’offrent aux nouvelles potentialités de l’intelligence artificielle, les consommateurs bénévoles prennent le relais des journalistes rémunérés pour proposer un mode de prescription horizontale faisant narcissiquement la part belle à l’expérience personnelle et nivelant la critique au niveau de pensée de la majorité statistique. L’on évalue désormais les livres comme n’importe quel bien de consommation, les avis de lecteurs sont des baromètres commerciaux au même titre que les enquêtes de satisfaction menées maintenant après quasiment tout acte d’achat.
Avec ses cinq parties clairement structurées en chapitres comportant chacun une description du contexte, des dispositifs et des objets critiques propres à chaque époque, enfin une liste des sources, ce livre est un ouvrage d’esprit scientifique, synthétisant des travaux de recherche exhaustifs et pointus, pour une vulgarisation qui ne manquera pas d’intéresser, entre autres, quiconque se pique d’aimer les livres et, qui plus est, de partager son avis à leur propos. Cette intéressante mise en perspective ouvre par ailleurs de nombreuses pistes de réflexion quant à la place de la littérature dans la société occidentale contemporaine, quand marketing, enjeux économiques et intelligence artificielle n’ont pas fini de révolutionner notre approche des livres.