Les réprouvés, les déviants politiques ou sexuels, les transgresseurs de normes morales, religieuses et philosophiques ; ou de quelque autre manière que l'on appelle les déclassés du " Grand Siècle ", ont toujours intrigué et séduit Madeleine Alcover. On en trouvera à foison dans ce livre. Des visiteurs de l'inquiétante altérité ethnographique ou de l'autrefois hérétique, bien sûr, mais aussi des rebelles aux bonnes manières langagières ou au " classicisme " ; des monstres androgynes ou velus, des sorciers ou leurs persécuteurs, des magiciens et des drogués, des cloîtrés, de probables illuminés, des " gueux ", des " déviants sexuels " ; des femmes, enfin, exclues de première classe sous l'Ancien Régime - car elles n'étaient pas toutes, hélas, princesses ou " précieuses ". Et encore, une myriade d'individus que, pour mille raisons controversées, on a appelés " libertins " en vertu de leur non-conformisme ou de leurs exigences existentielles : Blessebois, Bouchard, La Mothe Le Vayer, La Pey rère, Fourcroy, etc., sur lesquels sont publiés ici plusieurs mises au point décisives et des documents inédits. Cyrano, on s'en serait douté, n'est pas oublié dans ce recueil : il est même omniprésent et la section la plus longue du volume lui est spécialement consacrée. Celle-ci, globalement, bouscule bien des idées reçues à son sujet, et, contre tous les aplatissements idéologiques ou relativistes dont l'accable régulièrement la critique, montre que notre homme était bien un radical d'exception, à la fois excentrique et fortement engagé en son siècle, et d'une rare lucidité. La matière historique qui nous est offerte ici est enfin matière à recul vis-à-vis de nos dévotions et soumissions actuelles. Les non-conformistes ou les marginaux d'autrefois, confrontés à d'autres normes, expulsés vers d'autres horizons, ont peut-être encore beaucoup à nous apprendre sur l'aberration de certaines frontières, comme sur nos facultés de résignation ou de résistance.