En 1961, cinq hommes occupent la station polaire soviétique de Daleko dont la seule finalité est la présence russe en Antarctique. Lors d’une partie d’échecs qui tourne mal, le tractoriste tue le chauffeur-mécanicien d’un coup de hache. Sans prison ni police dans ce bout du monde totalement coupé de la civilisation depuis la panne de leur radio, le chef Anton met le coupable à l’isolement dans le cellier, où la température ne dépasse jamais les moins quinze degrés. Mais l’homme parvient à s’échapper…
Leur mission, seuls au beau milieu de l’Antarctique, dans une
zone inaccessible soumise à des conditions extrêmes, entre un froid capable de les congeler en quelques instants et une blancheur spectrale qui a mangé toute couleur, pourrait faire de ces hommes des héros si elle avait un sens. Seulement voilà, ils ne sont que de pauvres hères, envoyés par le Parti comme porte-drapeaux soviétiques en ces confins sans vie, avec pour seule responsabilité l’entretien de la statue de Lénine confiée à leurs bons soins. Autonomes avec leur immense stock de nourriture, ils vivent un temps indéfiniment suspendu puisque leur engagement ne comporte aucun terme, dans un huis clos d’autant plus hermétique que l’inaction conjuguée aux températures insupportables les confine dans les quelques mètres carrés de leur seul baraquement à peu près chauffé. Tous diluent leur ennui dans les brumes de la vodka, qui, à défaut de toujours agir en assommoir, favorise parfois quelques échauffements, des corps comme des esprits. Alors il suffit un jour d’une broutille pour qu’un geste irréparable les fasse glisser dans un infernal engrenage.
Que faire d’un meurtrier quand votre quotidien n’est que promiscuité et que vous ne pouvez compter sur aucun recours extérieur ? La défiance qui s’est subitement invitée au sein du groupe est un poison qui rend tout à coup la cohabitation impossible. Les tensions montent, faisant craindre de nouveaux drames dans ce contexte ubuesque, mais malheureusement implacable. Bien décidé à défendre sa peau condamnée par sa mise à l’isolement, le fruste Vadim va se révéler indomptable. Désormais, « Si quelqu’un rentrait vivant de ce séjour au pôle, ce ne serait pas le plus malin, le plus savant ou le plus équipé, mais celui qui aurait l’instinct de survie le plus fort. »
Avec une malice de tous les instants qui transforme ce huis clos angoissant, mâtiné d’aventure extrême, en une sorte de fable, noire et acide, sur la nature humaine, la plume toujours aussi splendide d’Olivier Bleys nous propose une échappée hallucinante aux confins de la civilisation, dans une fiction aux convaincants accents de vérité. Après le viscéral et tout aussi recommandable Solak de Caroline Hinault, une nouvelle occasion, peut-être plus subtile, de frisson polaire, dans un environnement où se révèle la vraie nature de l’homme. Coup de coeur.
Frisson polaire
En 1961, cinq hommes occupent la station polaire soviétique de Daleko dont la seule finalité est la présence russe en Antarctique. Lors d’une partie d’échecs qui tourne mal, le tractoriste tue le chauffeur-mécanicien d’un coup de hache. Sans prison ni police dans ce bout du monde totalement coupé de la civilisation depuis la panne de leur radio, le chef Anton met le coupable à l’isolement dans le cellier, où la température ne dépasse jamais les moins quinze degrés. Mais l’homme parvient à s’échapper…
Leur mission, seuls au beau milieu de l’Antarctique, dans une zone inaccessible soumise à des conditions extrêmes, entre un froid capable de les congeler en quelques instants et une blancheur spectrale qui a mangé toute couleur, pourrait faire de ces hommes des héros si elle avait un sens. Seulement voilà, ils ne sont que de pauvres hères, envoyés par le Parti comme porte-drapeaux soviétiques en ces confins sans vie, avec pour seule responsabilité l’entretien de la statue de Lénine confiée à leurs bons soins. Autonomes avec leur immense stock de nourriture, ils vivent un temps indéfiniment suspendu puisque leur engagement ne comporte aucun terme, dans un huis clos d’autant plus hermétique que l’inaction conjuguée aux températures insupportables les confine dans les quelques mètres carrés de leur seul baraquement à peu près chauffé. Tous diluent leur ennui dans les brumes de la vodka, qui, à défaut de toujours agir en assommoir, favorise parfois quelques échauffements, des corps comme des esprits. Alors il suffit un jour d’une broutille pour qu’un geste irréparable les fasse glisser dans un infernal engrenage.
Que faire d’un meurtrier quand votre quotidien n’est que promiscuité et que vous ne pouvez compter sur aucun recours extérieur ? La défiance qui s’est subitement invitée au sein du groupe est un poison qui rend tout à coup la cohabitation impossible. Les tensions montent, faisant craindre de nouveaux drames dans ce contexte ubuesque, mais malheureusement implacable. Bien décidé à défendre sa peau condamnée par sa mise à l’isolement, le fruste Vadim va se révéler indomptable. Désormais, « Si quelqu’un rentrait vivant de ce séjour au pôle, ce ne serait pas le plus malin, le plus savant ou le plus équipé, mais celui qui aurait l’instinct de survie le plus fort. »
Avec une malice de tous les instants qui transforme ce huis clos angoissant, mâtiné d’aventure extrême, en une sorte de fable, noire et acide, sur la nature humaine, la plume toujours aussi splendide d’Olivier Bleys nous propose une échappée hallucinante aux confins de la civilisation, dans une fiction aux convaincants accents de vérité. Après le viscéral et tout aussi recommandable Solak de Caroline Hinault, une nouvelle occasion, peut-être plus subtile, de frisson polaire, dans un environnement où se révèle la vraie nature de l’homme. Coup de coeur.