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Jules Lelorrain, magistrat provincial sous le Second Empire, fit une carrière très honorable alors même que son positionnement républicain, bien connu de ses supérieurs, le plaçait un peu en marge des juges et procureurs de l'époque. Très tôt séparé (géographiquement !) de ses deux fils, il entretint avec eux une correspondance suivie, presque hebdomadaire, échange représentant au total plusieurs milliers de lettres dont la plupart ont été conservées.
On a sélectionné, au sein de cet immense corpus, les lettres envoyées par le père à son fils Édouard, étudiant puis médecin militaire, entre le 1er janvier 1867 et la fin de 1871. L'intérêt de cette correspondance est considérable. Correspondance privée d'abord, plongée surprenante dans la vie quotidienne d'un notable désargenté mais entretenant avec assiduité un réseau social très développé, très varié, de parents, amis et connaissances, parlant simplement à son fils de promenades, excursions, vacances, mais aussi de ses difficiles relations avec sa femme - qui n'est pas la mère d'Édouard, de sa santé propre comme de celle des autres, d'argent, de questions de carrière (la sienne, celle d'Édouard, celle d'Eugène, le fils aîné).
La liberté et la franchise des propos sont étonnantes et sans doute peu communes, tranchant avec le ton parfois compassé de nombre de correspondances privées anciennes. Mais, au-delà de ces peintures presque balzaciennes, de ces scènes de la vie de province, ces lettres abordent des questions d'un autre niveau. Les années 1867-1871 sont cruciales : vains efforts de libéralisation de l'Empire, affrontements politiques et sociaux, « guerre folle » de 1870, effondrement de la France, guerre civile...
De tout cela et aussi de la religion et de la nature de la vie humaine en général, le père et le fils s'entretiennent avec la plus grande confiance, alors qu'ils ne sont pas en accord parfait. Jules, voltairien, spiritualiste, modéré s'oppose à Édouard, athée, radical, intransigeant - et ces dissensions font l'objet de débats parfois vifs sans compromettre aucunement les relations chaleureuses qu'entretiennent le père et le fils.
C'est ce ton de liberté, cette absence de retenue, cette ouverture d'esprit rares qui font de ces lettres un document exceptionnel.