Le jeune écrivain sénégalais Diégane Latyr Faye vit désormais à Paris. Il y découvre un roman oublié, Le labyrinthe de l’inhumain, qui fit brièvement sensation et scandale à sa parution en 1938, et dont on n’entendit plus jamais parler de l’auteur par la suite. Fasciné, Diégane se lance sur les traces de ce mystérieux T.C. Elimane, qualifié de « Rimbaud nègre ». Tandis que sa quête le ramène au Sénégal en passant par l’Argentine, il fréquente avec assiduité un cercle de jeunes auteurs africains, qui interrogent la création littéraire et la place de la littérature
africaine.
A force de s’interroger sur ce qu’est un grand livre, il se pourrait bien que Mohamed Mbougar Sarr en ait écrit un. Car La plus secrète mémoire des hommes impressionne à plus d’un titre. Au travers d’une quête vertigineuse qui tient le lecteur en haleine, se déploient une réflexion dont l’intelligence n’a d’égale que l’humour, et une œuvre dont l’inventivité rivalise avec la beauté de son écriture. Auteurs, critiques, lecteurs… Tous les acteurs tournant de près ou de loin autour des livres se retrouvent au coeur de cette histoire subtilement enroulée autour d’une interrogation existentielle : vivre ou écrire, écrire ou ne pas écrire, en somme être ou ne pas être. Et si, face à « l’incontinence littéraire » qui voit paraître le meilleur comme le pire, l’on peut se poser la question de la valeur de l’oeuvre et de la véritable ambition de l’écriture, l’auteur interpelle aussi plus spécifiquement quant à l’espace dévolu à la littérature africaine, et quant aux difficultés de cette dernière à s’imposer sans se plier forcément aux critères d’appréciation et à la vision du monde tels qu’ils prévalent en Occident.
Tout en multipliant les rappels historiques du déséquilibre de la relation franco-africaine hérité de la colonisation, dans des passages parfois émouvants lorsqu’ils évoquent par exemple les tirailleurs sénégalais engagés aux côtés de la France, le récit incarne littéralement l’aliénation africaine dans le personnage d’Elimane. Cet auteur prodige, encensé, puis anéanti par la critique occidentale, symbolise le drame d’intellectuels africains peinant à s'imposer sans renoncer à s’affranchir des canons de la pensée et de l’écriture occidentales. Il est clairement inspiré de l’écrivain malien Yambo Ouologem, premier Africain à recevoir le prix Renaudot en 1968 pour son livre Le Devoir de violence. Cet auteur, dont la vision des rapports de l’Afrique et de l’Occident divergeait du mythe en cours à l’époque, souleva une telle polémique qu’il finit par se retirer dans la discrétion et l’oubli.
Alter ego de Diégane, l'auteur nous entraîne avec une aisance et une décontraction pleines d'humour dans un récit brillant à tout point de vue. La profondeur et l’élégance de la réflexion de cet amoureux des belles lettres, conjuguées à la virtuosité de sa construction romanesque et à la somptuosité de son écriture, m’ont séduite au-delà du coup de coeur.
à la recherche d'un écrivain perdu
Autant vous le dire tout de suite, ce texte peut paraître ardu et complexe mais ne vous fiez pas aux premières pages et continuez !
Quel bonheur de suivre le chemin de Diégane sur les traces d'un écrivain encensé par la critique puis subitement disparu qui l'amène à se découvrir lui-même !
La réflexion autour de la littérature, de la création, du plagiat donne au texte toute sa puissance !
Et le clin d’œil aux "élites parisiennes" qui font et défont l'honneur des écrivains est bienvenu. D'ailleurs est-il possible de juger un roman en faisant abstraction de l'identité de son auteur, de la couleur de sa peau et de ses origines ?
Un très beau texte qui mérite pour moi le prix Goncourt !