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José Luis Borges, en inspecteur de volailles, fonction assignée à
l'écrivain en 1946 pour avoir pris position contre Perón ! En 1946,
Borges, qui travaille alors à la bibliothèque municipale de Buenos
Aires, se voit nommer « Inspecteur de Volailles et de Lapins » par le
gouvernement de Perón, en représailles à ses déclarations publiques
nettement anti-péronistes. Lucas Nine imagine une histoire dans
laquelle le grand écrivain aurait accepté ce poste au titre
rocambolesque, presque surréaliste.
Le récit de Lucas Nine est
traversé par une tension qui a fortement marqué l'histoire argentine
du xxe siècle, entre le péronisme (mouvement populaire et
nationaliste qui s'appuyait sur la classe ouvrière) et l'« oligarchie
» majoritairement concentrée à Bueno aires (les classes aisées, «
européisantes »). Borges, érudit, nourri de littérature européenne, a
souvent été considéré comme une figure phare de ce deuxième pôle.
Cette figure légendaire se trouve ici parodiée dans une aventure
policière à travers le personnage d'un détective un peu gauche, qui se prend très au sérieux et fait montre de son érudition pour sombrer
quelques lignes plus tard dans les plaisanteries les plus salaces, à
base de jeux de rimes plus ou moins ridicules.
On rencontre au cours
de l'enquête d'autres grandes gures de la littérature argentine des
années 1940, avec au centre un Oliverio Girondo, le « méchant » à
l'origine d'une machination pour détruire l'humanité tout entière, sa
femme Norah Lange, mais aussi, plus brièvement, Adolfo Bioy Casares,
Silvina Ocampo, Witold Gombrowicz, Ernesto Sábato, tout autant
caricaturés que Borges.
L'auteur joue allègrement avec les codes du
polar et l'usage récurrent (tantôt métaphorique, tantôt littéral) du
vocabulaire aviaire submerge l'ensemble dans une atmosphère sombre et
fantastique, jamais très loin du grotesque.