Rami Elhanan est juif israélien, Bassam Aramin palestinien. Tous deux ont perdu leur fille : alors âgée de quatorze ans, Smadar a été tuée en 1997 dans un attentat-suicide perpétré par des Palestiniens. Abir, dix ans, est morte en 2007, abattue par un garde-frontière israélien alors qu’elle était sortie acheter des bonbons. Ils sont aujourd’hui membres de l’organisation Parents Circle-Families Forum, qui réunit des familles palestiniennes et israéliennes endeuillées à cause du conflit israélo-arabe, et qui milite pour la réconciliation et la paix.
Les personnages et les
faits sont réels. Le récit nous les fait découvrir en même temps qu’un raisonnement qui, peu à peu, s’impose comme un leitmotiv : pour sortir de l’engrenage sans issue de la violence, Israël n’aurait d’autre choix que de reconsidérer sa politique d’occupation et de tenter de mettre en place une cohabitation égalitaire dans des territoires reconnus communs. L’auteur se fait le relais de ces voix israéliennes, vilipendées comme traîtres par leur opinion publique nationale, qui s’élèvent çà et là, accusant leur gouvernement d’induire la violence au travers d’actions et de comportements profondément injustes pour les Palestiniens. Courageusement, elles se regroupent dans des associations où Israéliens et Palestiniens prônent ensemble le dialogue, pour une meilleure compréhension mutuelle, préalable à toute possibilité de réconciliation.
D’une manière originale, le texte tisse autour de la trame du récit un tissu d’anecdotes et de considérations variées qui, souvent étonnantes mais toujours édifiantes, viennent renforcer le propos. La succession de chapitres, parfois très brefs et d‘apparence hétéroclite, dessine ainsi peu à peu le motif général d’une mosaïque, où se détachent notamment l’effarante ingéniosité humaine dans l’art de la guerre, mais aussi la miraculeuse et fragile variété de la vie qui devrait nous inciter à la protéger. Tout en se montrant parfaitement réaliste et lucide, l’ensemble laisse fleurir l’espoir que l’humanité puisse finir par prévaloir sur les instincts belliqueux. Même si, comme Freud l’écrivait à Einstein dans les années trente, ces derniers ne sont pas prêts de s’éteindre, il existe une chance de les combattre en cultivant les liens émotionnels et en favorisant le sentiment de communauté. "Regardez l’Afrique du Sud, l’Irlande du Nord, l’Allemagne, la France, le Japon, et même l’Égypte. Qui aurait cru que ce serait possible ?"
Un apeirogon est un polygone au nombre infini de côtés, comme le si complexe conflit israélo-palestinien, mais aussi comme cet ouvrage aux mille facettes, aussi étonnant que bouleversant, qui ouvre avec brio une réflexion pacifiste dont on espère qu’elle essaimera le plus largement possible.
Symphonie pour la paix
Essayez de lire ce livre en écoutant la musique de Bach (les Suites pour Violoncelle seul, ou L'Art de la Fugue). Dans le calme et la douleur, dans la révolte que la musique apaise.
Regardez le vol des oiseaux. Cette danse. Cette réflexion chorégraphique. Ce bain de brume et de poussière, d'obscurité aussi. D'humanité.
L'architecture du livre nous rappelle un puzzle, un kaléidoscope, ou bien une symphonie, la neuvième symphonie – ultime, infinie beauté – de Mahler.
Pour le lecteur sensible, ne craignant pas les larmes – de douleur, de révolte, d'humanité –, ce livre – d'une infinie beauté – est essentiel.