Devenu spécialiste de la satire du milieu éditorial français avec L’espion qui venait du livre, Le polar de l’été, Un petit chef-d'œuvre de littérature et Le dernier thriller norvégien, Luc Chomarat convoque une nouvelle fois son personnage de prédilection, l’éditeur de fiction Delafeuille, pour un autre de ses drôles et vertigineux romans gigognes qui font de la mise en abyme un virtuose et infini jeu de miroirs.
Sa nouvelle directrice l’a mis au pied du mur : « un bon texte est un texte qui se vend. ». Alors, qu’il cesse de se piquer de littérature et s’active plutôt
à dénicher la pépite commerciale qui, en s’imposant comme « le livre de la rentrée », leur rapportera le jackpot. Voilà donc ce bon vieux Delafeuille, s’il veut sauver sa tête et son emploi, contraint à la chasse au livre si bien dans l’air du temps qu’il sera de bon ton de se l’arracher, peu importe s’il ne vaut en réalité pas tripette. Il y a bien le roman du neveu de sa directrice, entièrement constitué de SMS avec les fautes qui vont avec. Mais il lui faudrait aussi un portrait de femme bien actuel, avec sa dose de « cul féministe », à défaut d’une louche de maladie, de malheurs, de planète en péril ou de dénonciation du capitalisme.
Or, invité quelques jours chez l’un de ses auteurs et amis, Luc, qui s’est établi au vert dans le Sud-Ouest, loin du cirque parisien, notre éditeur tombe sous le charme de l’épouse, Delphine, par ailleurs au coeur du livre que son mari a décidé de lui consacrer. Hélas, épanouie et parfaite dans son rôle d’épouse, de mère et de femme d’intérieur, elle est l’antithèse absolue de l’égérie féministe. Impossible donc de miser sur ce manuscrit en cours d’écriture, où il se découvre d’ailleurs lui aussi personnage. Mais comment peut-on retrouver ce que l’on est présentement en train de vivre dans un texte rédigé quelque temps auparavant ? Convaincu de sa réalité, Delafeuille ne serait-il en vérité que fictif ? Personnage, il l’a déjà été, puisque Luc l’a déjà fait figurer dans de précédents livres… signés Chomarat ! Luc et Chomarat ont d’ailleurs tous deux le même titre pour leur dernier livre… « Le livre de la rentrée » !
Désormais imbriqués jusqu’à l’inextricable, réel et fiction se font, pour le plus grand plaisir du lecteur, les complices d’une nouvelle machination littéraire de l’auteur, qui, moins loufoque que les précédentes, gagne en subtilité pour autant nous amuser que brocarder avec malice le monde éditorial et ses travers. Réjouissant et savoureux, virtuose dans l’art de nous désorienter à mesure que se creuse sa savante mise en abyme, le récit parvient haut la main à renouveler une partition dont Luc Chomarat a fait sa martingale.
Le livre de la rentrée.
Humour caustique, acuité croustillante, déambulation réjouissante, pleine d’auto-dérision sur le milieu littéraire, l’univers du livre et ce que génère l’époque, Le livre de l‘été comme un tour de passe-passe savoureux qui se joue de nous lecteur, avec un plaisir malicieux, à la fois roman dans le roman où la fiction débarque dans le réel ou parfois l’inverse, truffé de portes et d’hommages à littérature, à ce qu’elle permet, ses poncifs égratignés avec toujours beaucoup d’intelligence.
Luc Chomarat ne fait décidément rien comme les autres, et c’est peut être pour ça qu’on aime ses textes, quitte à s’y perdre, avec délectation, la finesse d’une plume et d’un regard toujours aiguisé.