Après la version française de la fameuse Saga des Cazalet, les éditions de la Table Ronde proposent cette fois une traduction révisée, préfacée par Hilary Mantel, du deuxième roman de l’auteur britannique Elizabeth Jane Howard. Ecrit en 1956. il raconte à rebours la vie d’une femme, aux prises avec les faux-semblants du mariage dans une famille bourgeoise.
Le récit s’ouvre en 1950, lorsque le dîner de fiançailles de son fils renvoie Antonia à l’échec de sa propre union avec Conrad Fleming. Sa future bru sait-elle seulement ce qui l’attend auprès d’un homme qui ne
manquera sans doute pas de reproduire les attitudes de son père ? Et elle, comment a-t-elle bien pu en arriver là ? Emportée par ses réflexions dans un long zoom arrière rembobinant sa vie, là voilà qui remonte le temps, de ses désillusions d’aujourd’hui jusqu’à sa candeur de très jeune fille. De 1950 à 1926, cinq étages de son existence se déconstruisent ainsi en cinq parties chronologiquement inversées, et derrière la sèche quadragénaire engoncée dans son décorum et son opulence, transparaît peu à peu une femme meurtrie, coincée dans les rôles auxquels, mère, épouse et fille, elle se sera efforcée de se conformer en y perdant progressivement son coeur et son âme.
A mesure qu’Antonia rajeunit et que défilent les décors, soigneusement restitués, à Londres et dans la campagne anglaise, à Paris et sur la Côte d’Azur, qui ont accompagné son long apprentissage de femme, en réalité un formatage implicite, répondant à d’invisibles codes sociaux et la plaçant insensiblement toute sa vie sous emprise masculine, l’on découvre, le tout ciselé avec une finesse psychologique remarquable, sa personnalité profonde, ses primes aspirations et leur lente décomposition au contact de son milieu.
Des propres malheurs conjugaux de sa mère, elle mettra longtemps à réaliser, cachées sous une frivolité manipulatrice et égoïste lui faisant d’abord prendre la défense de son père, les tentatives désespérées d’exister, au moins, dans le regard d’amants de passage. Incapable d’autant se mentir pour sa part, Antonia fait avec la maturité l’accablant décompte des malentendus sexistes venus empoisonner sa vie. Créature perverse et méprisable par nature – « Rien de tout cela ne te fait donc honte, ne serait-ce qu’un peu ? Ou bien es-tu à tel point une femme désormais que ce mot n’a plus de sens pour toi ? » lui crache son père retranché dans sa misogynie pour justifier le naufrage de son couple –, objet de plaisir, voire de passion, pour des hommes parfois sincères qui ne quitteront pour autant jamais leur épouse, ou encore bien d’investissement comme un autre – « C’est ma maison et tu es ma femme » lui assène son mari pour bien marquer son autorité – : les représentations que chacun dans cette histoire se fait du rôle des femmes n’asservissent pas seulement ces dernières, mais font aussi le malheur des hommes, derrière le masque des apparences et des conventions.
Soigné dans ses décors comme dans ses caractères, tout en nuances et finesse d’observation, ce roman dont la construction à rebours épouse à merveille aussi bien les interrogations du lecteur que le désarroi de son héroïne – mais comment en arrive-t-on là ? – parle d’illusions, de mensonges, mais aussi de vérités que l’on se cache et, ce faisant, du mal que l’on se fait et que l’on inflige : une formidable comédie humaine, qu’en petites touches savamment assemblées, l’auteur colore d’un féminisme aussi imparable que posé, et qui mérite largement d’étendre son statut de classique contemporain au-delà du Royaume-Uni. Coup de coeur.
Coup de coeur
Après la version française de la fameuse Saga des Cazalet, les éditions de la Table Ronde proposent cette fois une traduction révisée, préfacée par Hilary Mantel, du deuxième roman de l’auteur britannique Elizabeth Jane Howard. Ecrit en 1956. il raconte à rebours la vie d’une femme, aux prises avec les faux-semblants du mariage dans une famille bourgeoise.
Le récit s’ouvre en 1950, lorsque le dîner de fiançailles de son fils renvoie Antonia à l’échec de sa propre union avec Conrad Fleming. Sa future bru sait-elle seulement ce qui l’attend auprès d’un homme qui ne manquera sans doute pas de reproduire les attitudes de son père ? Et elle, comment a-t-elle bien pu en arriver là ? Emportée par ses réflexions dans un long zoom arrière rembobinant sa vie, là voilà qui remonte le temps, de ses désillusions d’aujourd’hui jusqu’à sa candeur de très jeune fille. De 1950 à 1926, cinq étages de son existence se déconstruisent ainsi en cinq parties chronologiquement inversées, et derrière la sèche quadragénaire engoncée dans son décorum et son opulence, transparaît peu à peu une femme meurtrie, coincée dans les rôles auxquels, mère, épouse et fille, elle se sera efforcée de se conformer en y perdant progressivement son coeur et son âme.
A mesure qu’Antonia rajeunit et que défilent les décors, soigneusement restitués, à Londres et dans la campagne anglaise, à Paris et sur la Côte d’Azur, qui ont accompagné son long apprentissage de femme, en réalité un formatage implicite, répondant à d’invisibles codes sociaux et la plaçant insensiblement toute sa vie sous emprise masculine, l’on découvre, le tout ciselé avec une finesse psychologique remarquable, sa personnalité profonde, ses primes aspirations et leur lente décomposition au contact de son milieu.
Des propres malheurs conjugaux de sa mère, elle mettra longtemps à réaliser, cachées sous une frivolité manipulatrice et égoïste lui faisant d’abord prendre la défense de son père, les tentatives désespérées d’exister, au moins, dans le regard d’amants de passage. Incapable d’autant se mentir pour sa part, Antonia fait avec la maturité l’accablant décompte des malentendus sexistes venus empoisonner sa vie. Créature perverse et méprisable par nature – « Rien de tout cela ne te fait donc honte, ne serait-ce qu’un peu ? Ou bien es-tu à tel point une femme désormais que ce mot n’a plus de sens pour toi ? » lui crache son père retranché dans sa misogynie pour justifier le naufrage de son couple –, objet de plaisir, voire de passion, pour des hommes parfois sincères qui ne quitteront pour autant jamais leur épouse, ou encore bien d’investissement comme un autre – « C’est ma maison et tu es ma femme » lui assène son mari pour bien marquer son autorité – : les représentations que chacun dans cette histoire se fait du rôle des femmes n’asservissent pas seulement ces dernières, mais font aussi le malheur des hommes, derrière le masque des apparences et des conventions.
Soigné dans ses décors comme dans ses caractères, tout en nuances et finesse d’observation, ce roman dont la construction à rebours épouse à merveille aussi bien les interrogations du lecteur que le désarroi de son héroïne – mais comment en arrive-t-on là ? – parle d’illusions, de mensonges, mais aussi de vérités que l’on se cache et, ce faisant, du mal que l’on se fait et que l’on inflige : une formidable comédie humaine, qu’en petites touches savamment assemblées, l’auteur colore d’un féminisme aussi imparable que posé, et qui mérite largement d’étendre son statut de classique contemporain au-delà du Royaume-Uni. Coup de coeur.